Episode 5
Mais durant cette période l’AKULA II a pu gagner les zones plus profondes de la mer Baltique et tente ainsi de retarder la projection de forces de l’Alliance en menaçant les navires qui arrivent en convoi. Le commandant Marko Ramius, emblématique figure des sous-mariniers, responsable des équipages de la flotte de la Baltique donne ses ordres à son second :
« Bien nous voici dans notre zone d’opération. Volodia apprêtez-vous à déposer une série de mines de fond à influence. Voilà qui devrait faire réfléchir les américains en cas de tentative de débarquement. Nous sommes également à proximité des câbles de fibres optiques qui traversent le golfe. Les communications seront sous notre contrôle… »Les stratégies d’anti-accès (empêcher une force d’approcher une zone) et de déni d’accès (la réduire une fois sur qu’elle est sur place) sont un défi à relever (« anti-access (A2) strategies aim to prevent US forces entry into a theater of operations, then area-denial (AD) operations aim to prevent their freedom of action in the more narrow confines of the area under an enemy’s direct control »). Les mines de fond PMK-1 sont un outil idéal pour cela. Par ailleurs
les fibres optiques traversent tous les océans de la planète et sont l’objet de toutes les convoitises.
Profitant de conditions de mer avantageuses (houle formée, couche d’inversion de température (thermocline) marquée) le sous-marin K-157 « Vepr » du commandant Ramius peut s’approcher en toute discrétion et ainsi porter son attaque sans être décelé.
-« Commandant deux bruiteurs au 300 ! »
-« Caractéristiques ? »
-« Le premier, 82 tours par minute, lent, classifions marchand. Même azimuth plus loin un contact en défilement inverse, rapide, classifions Frégate ».
-« Parfait annoncez comme Sierra 1 et 2. Inscrivez au livre de bord. PC tir je veux une solution réactualisée sur Sierra 2 dès que la distance sera connue. Pilote manœuvrez pour rester sous la couche et vous glisser dans le sillage de Sierra 1. Nous ferons feu au plus près je ne veux pas qu’il ait le temps de s’échapper. Nous utiliserons le marchand comme bouclier…».
…/…
-« Commandant nous sommes juste derrière le marchand ! La Frégate à 3000 mètres poursuit sa route en cap inverse elle ne nous voit pas ! »
-« Parfait, immersion périscopique, sortez le périscope d’attaque, préparez une torpille avec activation à 2000 m. On va lancer en éloignement à vitesse lente puis revenir par le nord pour le remonter par l’arrière en accélérant dans son sillage. Ça va nous donner le temps de manœuvrer au clair. »-« Top indiscrétion, chronométrez-moi : visuel le transporteur gazier, la frégate relèvement 357°, défilement inverse distance 2.9. Affalez les périscopes, préparez-vous à lancer…. Tube 1 feu ! »
-« Feu tube 1, azimuth de feu 330, cap de l’arme 340, temps de parcours 6 minutes 15 »Mais tout à son attaque le commandant Ramius a négligé un danger venu du ciel et un
Atlantique 2 de la Marine Nationale venu directement de Lorient attendait patiemment son heure en écoutant depuis plus de quatre heures les signaux faibles captés par les bouées passives larguées selon une méthodologie éprouvée par des générations de chasseurs de sous-marins. Alternant écoute en surface et sous la
thermocline les signaux de la chaudière du « Vepr » ont fini par être suffisamment forts pour inciter l’ATL 2 à descendre au ras des flots pour valider son contact au détecteur d’anomalie magnétique (MAD-la longue poutre à l’arrière de l’avion qui permet de mesurer les interférences d’attraction magnétique générées par un sous-marin en plongée) et marquer la position relevée au fumigène.
Travaillant de concert avec une frégate ASM cette dernière fait alors décoller son SH-60 « Seahawk » pour engager la menace détectée et utiliser son sonar trempé.
« Aux postes de combat ! Contact sous-marin détecté par aéronef de PATMAR, faites décoller l’hélico ! »« Visuel sur le fumigène largué par l’ATL. John descend le sonar pour confirmer. Si c’est bon on refait un passage et on lui largue un suppo pour la nuit… »
« T’as raison vaut mieux être sûr de son coup car il y a du monde en dessous… »Mais dans les profondeurs cette soudaine agitation en surface n’est pas restée inaperçue par l’opérateur russe :
-« Commandant transitoire de largage en surface ! »
-« Plongée d’urgence ! Assiette -25 ! Larguez un leurre et venez à bâbord en évasive continue cap au 250 profondeur moins 80 ! Vitesse maximum ! Machines donnez tout ce que vous avez je veux voir indiqué 28 nœuds ! Continuez à descendre dès que possible pour réduire les risques de cavitation ».Cavitation : phénomène de formation et croissance explosive de bulles de vapeur sur les hélices d’un propulseur immergé en présence d'une dépression (résultant d'un effet Bernoulli), suivie d'une implosion violente. Perte de discrétion assurée.
Mais pendant ce temps la torpille lourde de 533 mm lancée par le « Vepr » a trouvé sa proie et détonne sous la coque provoquant un mouvement de cisaillement fatal (bubble jet effect). La frégate de 3600 tonnes est littéralement coupée en deux par la violence de l’onde de choc.
Elle sombre très rapidement. Les survivants seront récupérés par les navires alentours qui porteront immédiatement assistance. 46 hommes auront péris dans l’action. Une douzaine sera retrouvée en hypothermie avancée et 50 blessés graves seront par la suite traités dans les structures médicales en mer. Un rude coup pour l’Alliance et un revers pour l’opinion publique.
Les torpilles modernes sont initialement filoguidées et peuvent parcourir une cinquantaine de kilomètres avec des modes de recherche très élaborés. Rapides (55kt) et puissantes (270 kg d’explo environ) elles envoient par le fond tout ce qu’elles touchent.
Le dernier torpillage en date remonte au 26 mars 2010 lorsque la
frégate sud-coréenne « Cheonan » a été coulée par un engin nord-coréen comme illustré supra.
Précédemment le 2 mai 1982
le croiseur argentin « Général Belgrano » fut coulé avec 2 torpilles par le « HMS Conqueror » au large des Malouines scellant le sort des forces déployées sur l’archipel. 323 victimes et une flotte argentine cloitrée dans ses ports (anti-accès..).
Mais dans les profondeurs un autre prédateur attend son heure et s’applique à trier patiemment les signaux multiples au sonar large bande. L’USS Cheyenne (SSN 773 dernier classe Los Angeles construit) était en protection du LHD lorsque les échos de la bataille lui parvinrent. En immersion à 70 m il capta la SITAC par son antenne HF remorquée en Liaison 22. Il se hâta de rejoindre la zone par le sud-ouest afin de retrouver le coupable tout en s’approchant prudemment pour ne pas gêner les recherches aériennes. Le commandant Bart Mancuso connait bien la doctrine russe pour avoir lu les articles de Ramius parus dans « l’Etoile Rouge ». Il sait donc que ce dernier va profiter des conditions bathythermiques favorables pour disparaître dans les grands fonds. Mais la présence des frégates en surface qui « pinguent » au sonar actif et des aéronefs de lutte ASM vont l’obliger à se déplacer rapidement pour quitter la zone.
-« Commandant, contact sonar lointain en large bande. Je capte un seul moteur, faible harmonique principale, décomposition en spectre délicate.»
-« Annoncez le contact comme sierra 25 et inscrivez-le au livre de bord ! »
-« Commandant, 7 pales ! Je confirme 7 pales ! J’ai capté son harmonique principale ! Il vient de caviter brièvement en accélérant ! »
-« Second ! Notez l’heure et transmettez l’information au calcul de trajectoire, je veux une solution de tir réactualisée toutes les 3 minutes ! Sonar ! Donnez les informations de profondeur de sierra 25 au PCNO ! Barreur, suivez les informations du sonar pour suivre le bruiteur dans les différentes couches ! »
-« Commandant relèvement constant. Le signal s’amplifie… On passe en identification spectre étroit... Signature Akula confirmée… C’est le K 129 ! Il se dirige vers nous…
-« Parfait, stoppez tout et laissez venir on va le tirer en éloignement. Il ne doit se douter de rien. On est en dessous de lui et près du fond avec la réverbération on est un trou de silence. Il ne verra rien arriver…. »-« Il nous arrive droit dessus commandant….On va pouvoir respirer leurs odeurs d’aisselles à ce train-là… »
-« Relax matelot, ça passe à fond vous verrez… Venez doucement par bâbord et commencez à virer pour profiter de la turbulence de sillage. Attention à bien rester étagé pour ne pas percuter sa flute sonar remorquée. Dans le baffle il est sourd comme un pot surtout à cette vitesse-là. Préparez une salve de MK-48 on va lancer en éventail pour lui couper toute possibilité de manœuvre.
…/…-« On est à bonne distance sur le but : lancez tube 2,3 et 4 sur un arc de 30° ! »
-« Torpilles lancées ! Le « Vepr » nous a détectés ! Il accélère et tente une évasive… deux torpilles leurrées… mais la troisième reste sur lui… Impact !! Il chasse et remonte à toute vitesse ! »
-« C’est parfait restez derrière prêt à en remettre une couche s’il redescend... On va laisser les surfaciers s’occuper de lui. S’il a deux sous de bon sens il arrêtera les frais et se rendra. Je préfère ça… »
Sa double coque endommagée et le compartiment des machines noyé le « Vepr » doit chasser aux ballasts afin de regagner la surface dans un ultime effort pour sauver son équipage. Ramius sait qu’il a perdu et préfère mettre un terme à cette confrontation meurtrière. Immédiatement un Littoral Combat Ship le prend en compte et neutralise toute velléité de riposte stérile. Sa coque éventrée permettra tout juste aux survivants d’évacuer dans un bouillonnement d’écume avant d’entraîner le sous-marin dans les abysses.