Opération : Fool's Metal Jacket (suite)
Déroulement :Chapitre 1 : La prise de Ravanay
« Et si on pousse le réalisme à fond, qu’est-ce que t’as alors, hein ? La réalité ! »
Phrase non culte, non entendue sur le serveur.
Appuyé le dos sur le mur de la maison aux fenêtres carrées et sans carreaux, il scrute les environs qui s’offrent à lui, baignés dans cette lumière particulière que prodigue le soleil levant sur la vallée de Ravanay. Les ombres naissantes et grandissantes soulignent chaque détail d’un décor qui s’éveille partout où porte son regard. Des herbes jaunes parsemées de fleurs aux multiples couleurs criardes jusqu’aux pierres jonchant le chemin de terre sablonneuse qui fend en deux le village en remontant vers le nord, chaque contour, chaque silhouette, chaque texture s’affiche avec une netteté tellement abrupte qu’elle semble fendre l’air dans une immense clameur silencieuse. Ici, les aspérités des murs en torchis dessinent des massifs montagneux, reproductions miniatures des sommets formant l’étau qui enserre Ravanay. Là, ce sont les veines saillantes d’un mûrier à l’âge séculaire qui tracent une myriade de canaux sombres et sinueux qui se perdent sous les feuilles cordiformes. Le ciel, vaste et profond, participe lui aussi à ce concert de couleurs en déployant une lente gamme allant de notes ténues d’azurin limpide à celles, plus marquées, d’un turquoise chatoyant, symphonie pastorale aux accents d’Orient. S’élevant vers cette voûte céleste où disparaissent les dernières étoiles, les vestiges du minaret, autrefois altier, témoignent pour l’éternité, tel un doigt accusateur et moribond, des blessures que lui ont infligées les récents conflits.
Des bruits de pas étouffés surprennent le silence figé qui règne sur le village, les hommes du 600 entament leur progression à l’est et remontent vers le nord. Obéissant à un signe bref de sa main, ses hommes, ceux du 300, se lancent à leur tour. Serrant son fusil contre son torse, il plonge à leur suite le long des maisons encore endormies. De prompts bonds en arrêts fugaces, l’équipe semble avoir entamer un ballet martial à la chorégraphie saccadée : où un homme s’efface en s’élançant vers un autre pignon, se dérobant à quelque démon invisible, un autre surgit reprenant la position du premier, parfait jumeau du précédent jusqu’au regard, fixe et inquisiteur, au même souffle court, à la même détermination dans le mouvement. Le canon de leurs armes, noires et compactes, clairons encore muets à l’allure menaçante, pointe de leur cache-flammes chaque saillie, chaque recoin, fouillant les alentours qui se livrent encore timidement à la lumière matinale. Fermant la marche, il rythme leur avance, parfois d’un regard, parfois d’un geste, avec l’assurance résolument affichée de celui qui sait pouvoir se reposer sur ses hommes.
Soudain, la cohorte se fige. Baigné dans la clarté solaire luminescente, se détache, vigie spectrale érigée au centre de la route, le shalwar kameez sombre de l’homme qui se tient le visage tourné vers l’orient, cherchant certainement la chaleur réconfortante des premiers rayons, annonciateurs hésitants de la chaleur diurne et implacable à venir. Pointe émergée à son flanc, la crosse de contreplaqué de bouleau laisse deviner l’Avtomat Kalachnikova qu’il porte nonchalamment en bandoulière, présage funeste que confirme le pakol aux couleurs des milices loyalistes, hostiles à toute intervention occidentale.
Avant qu’aucun tressaillement n’ait pu trahir les intentions belliqueuses du garde, son arme jaillit alors qu’il se retourne et, accompagnant son geste subit d’un cri féroce, arrose, sans discernement apparent, d’une longue rafale les murs qui se présentent à sa vue. D’abord saisis par la brusquerie de l’attaque, les hommes du 300 ripostent par de brefs tirs qui contrastent avec les interminables déflagrations qu’accompagnent les longues flammes incandescentes que crache l’arme du milicien. Les tirs cessent à l’instant même où ses jambes semblent céder sous son corps. Seule la légère fumée diaphane s’évadant de son fusil anime encore la dépouille du cerbère couché, inerte monceau de tissus déposé là par quelque mystérieux passant fuyant le combat.
Derrière le rideau de poussière fauve libérée par les innombrables impacts qui ont éclaté le torchis des bâtisses avoisinantes, la porte d’une cahute s’ouvre sans ménagement et laisse échapper, tel un animal en furie, ce qui semble être un instant le milicien revenu d’entre les morts tant ses habits, chemise grise tombante sur un pantalon large de même couleur, sont identiques. Cependant, il ne lui est pas laissé l’occasion d’accomplir quelque acte vengeur d’outre-tombe que ce soit et la seconde balle qui le heurte est déjà posthume.
Des voix inquiètes commencent à s’élever, des villageois s’interpellent de maison en maison et partout des pas résonnent dans les habitations. Le départ du groupe vers l’objectif qui l’attend plus haut vers le nord a sonné...